jeudi 13 octobre 2011

L'affaire DSK : "une corrélation entre l’homme de pouvoir et le sentiment d’impunité"


Une présumée histoire d'agression sexuelle ébranle la France et le reste du monde depuis quelques jours. Un homme politique français, monsieur Dominique Strauss-Kahn, a été arrêté pour une présumée histoire d'agression sexuelle qui se serait déroulée à New York.

Des points de vue de tous genres ont été énoncés depuis le début de la semaine. Nous vous partageons ici un article qui a été rédigé par Michaela Marzano, professeure de philosophie morale à l'Université ParisDescartes, et qui a été publiée dans "Le nouvel Observateur" le 17 mai 2011. Malgré que le Québec adopte une position différente de celle de la France à propos de l'agression sexuelle, cet article porte à réfléchir sur certains enjeux sociaux qui nous touchent aussi au Québec.

Bonne lecture!


Source"Le nouvel Observateur", 17 mai 2011, en ligne.


L'affaire DSK : "une corrélation entre l’homme de pouvoir et le sentiment d’impunité"


Pour Michela Marzano, professeur de philosophie morale à l’Université Paris Descartes "les citoyens ont baissé la garde vis-à-vis de l’attitude des élites." Par Eve Roger.

Longtemps, les hommes de pouvoir ont eu la réputation d’être de grands séducteurs. Avec les inculpations "d’agression sexuelle et de tentative de viol" de DSK aux Etats-Unis, entre-t-on dans une nouvelle ère ?

- Soyons prudents, mais si les faits sont avérés, cette affaire nous éloigne beaucoup de l’image – parfois fantasmée – de l’homme politique stressé, à la libido intense, qui chercherait dans les relations sexuelles un moyen de décompresser. Là, j’ai le sentiment qu’apparaît une corrélation entre l’homme de pouvoir et le sentiment d’impunité. Et cela, c’est nouveau en démocratie. Comme si le seul fait d’occuper un poste de responsabilité légitimait toutes sortes de conduites, et en particulier vis-à-vis des femmes. Existerait-il un présupposé selon lequel n’importe quelle femme serait heureuse d’avoir une relation sexuelle avec un homme puissant ? On glisserait alors aisément de la satisfaction de la libido à l’abus de pouvoir. La position sociale d’un homme rendrait légitime l’utilisation de la violence et de la contrainte ? C’est évidemment inacceptable.
Dominique Strauss-Kahn s’est pourtant excusé après avoir eu une relation avec une subordonnée hongroise au FMI, alors même qu’elle était consentante…
- Il n’avait cependant pas le choix. C’était une demande explicite du FMI qui exigeait des excuses. Mais aujourd’hui la réaction de l’entourage de DSK est intrigante : beaucoup de ses proches ont évoqué la théorie du complot. Exactement comme Silvio Berlusconi en Italie lorsqu’on l’accuse d’avoir des relations sexuelles avec des mineures prostituées. C’est interdit. Et pourtant, lui aussi est dans le déni. Il considère qu’il ne fait rien de mal. Selon lui, ses ennuis sont le fruit d’un complot d’une magistrature "de gauche" qui tente de le déstabiliser politiquement.
C’est la société qui accorde cette forme d’impunité à ses élites ?
- En France ou en Italie, les citoyens ont baissé la garde et perdu leur "vigilance", comme disait Locke, vis-à-vis de l’attitude des élites. Montesquieu ajoutait que "tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser (…) il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir". C’est le fondement même de notre système libéral. Sauf que notre société tend de plus en plus à considérer que les élites ne sont pas soumises aux mêmes lois que le commun des mortels. On l’a vu en France avec les affaires Woerth ou MAM, où il a fallu de longues semaines pour que ces puissants comprennent qu’ils avaient franchi la ligne jaune. Depuis trente ans environ, il y a une fascination vis-à-vis des élites, car il y a un mélange des genres. Les hommes politiques sont de plus en plus traités comme des "people" à qui l’on pardonne les mêmes caprices. En Italie, Berlusconi n’est pas disqualifié par ses frasques car il se comporte comme une star et, j’ose à peine le dire, une partie des hommes italiens l’admirent et l’envient : eux aussi aimeraient avoir des jeunes filles à leur disposition. En France, la situation est heureusement un peu différente. On tient beaucoup à la séparation entre sphère privée et sphère publique et, dans le privé, prime la liberté. Mais quand la vie privée devient criminelle, on n’est plus dans le domaine de la liberté sexuelle.
Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis...
- En effet, aux Etats-Unis, les affaires de mœurs sont souvent considérées comme ne faisant pas seulement partie de la sphère privée. C’est le travers d’un certain puritanisme protestant. En même temps, il existe aux Etats-Unis des garde-fous réels pour la protection de l’égalité et de la liberté substantielles des citoyens. C’est à l’honneur de ce pays. On considère par exemple qu’une femme de chambre a exactement les mêmes droits qu’un important homme politique. Dans certains cas, la position sociale peut même devenir une circonstance aggravante, dès lors qu’on l’utilise pour parvenir à ses fins. En France ou en Italie, la valeur d’un individu dépend pour beaucoup de son statut social. Les Américains sont très sensibles au contraire aux abus de pouvoir. Comme le soulignait déjà Tocqueville, c’est le propre d’une véritable société démocratique de garantir l’égalité entre le président des Etats-Unis et une simple femme de chambre.

Interview de Michela Marzano, Professeur de philosophie morale à l’Université Paris Descartes. Auteur de Le Contrat de défiance, Grasset
Propos recueillis par Eve Roger - Le Nouvel Observateur

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire